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Interview avec Mokhtar Mokri : « Nous célébrons le futur du patrimoine en chantant des chansons du passé »

Secrétaire Général de la Chorale « Les Voix du Chœur »


Rédigé par Safaa KSAANI Lundi 20 Mars 2023

Comptant plus de 30 ans au service de la mise en valeur du patrimoine musical national, le Secrétaire Général de la Chorale « Les Voix du Chœur » nous en parle, à cœur ouvert.



Ph. Léo Lefort
Ph. Léo Lefort
-Jeudi 16 mars, au théâtre Mohammed V de Rabat, le public a eu droit à un concert où l’ensemble vocal puise dans le répertoire de chansons marocaines et arabes. Un façon de célébrer la diversité culturelle du Maroc ?

-Nous avons des chansons marocaines, arabes, amazighes et hassanies. Nous essayons non seulement de puiser dans le répertoire marocain mais aussi de représenter le patrimoine réel. Autrement dit, on ne se concentre pas sur un sous-ensemble du répertoire, mais on essaye de toucher à toutes les composantes arabo-musulmanes, amazighes et saharo-hassanies du pays.
Ainsi, nous matérialisons le préambule de la Constitution à travers le patrimoine immatériel musical.

Lors de ce spectacle, d’une heure et demie en continu, sans coupure du début à la fin, on avait une douzaine de chansons que l’on a puisées du patrimoine. Il y avait différentes régions du Maroc et différentes époques des années 60. On essaye de mettre en contact la diversité à la fois géographique et historique de notre patrimoine.


-Comment l'avez-vous préparé ? C'est beaucoup de travail de préparation en amont ?

-A travers les répétitions, nous étudions les chansons. « Les Voix du Chœur » n’est pas qu’une chorale, mais c’est aussi des compositeurs et le chef d’orchestre, Rabii Marouane. Les compositeurs arrangeurs font le choix de la chanson et l’arrangent polyphoniquement. On adopte la façon occidentale de faire au niveau de l’harmonie musicale. La polyphonie est le fait de chanter plusieurs mélodies ou plusieurs parties musicales en même temps. Ce qui fait qu’il y a un enchevêtrement des mélodies, qui donne une richesse harmonieuse et qui se distingue du chant à l’unisson qui a, bien sûr, sa place et son charme. On n’essaye pas d’opposer ces deux choses, mais on essaye de donner une autre façon de voir la chanson marocaine à travers des arrangements polyphoniques. C’est la première partie du travail.

Ensuite, on nous présente ces œuvres à travers des répartitions musicales que nous étudions. Nous les chantons et rechantons de façon à ce qu’on les acquiert et les chante par cœur. Il y a un travail de fond qui est fait tant au niveau de l’arrangement que de la composition, que du chant lui-même et des répétitions. Pendant le concert, on ne voit que la partie visible de l’iceberg.


-Quels profils se cachent derrière "Les Voix du Choeur" ? Est-ce que vous détectez de temps en temps une perle timide qui se cache derrière ?

-Notre Maestro a une oreille musicale qui détecte la qualité des voix et leurs timbres ainsi que le moindre faux pas. Il sait comment les mélanger tout en gardant la spécificité de chacune de ces voix.
Par rapport à la chorale, nous ne sommes pas nécessairement dans la logique de la star. La chorale c’est un tout. On n’essaye pas de jouer des coudes pour se mettre à l’avant de la chorale. C’est un équilibre à tenir. D’ailleurs, les répétitions servent à trouver cet équilibre.
Il y a des gens qui viennent à la Chorale pour vaincre leur timidité et essayent de s’y fondre.

-A quel point les choristes deviennent-ils réellement acteurs du dialogue interculturel et du changement des mentalités ?

-Pour y arriver, il faut passer par deux étapes. La première, c’est de connaître par cœur tous les morceaux qu’on va chanter. Le choriste est de facto un instrument du patrimoine. Au niveau du concert, il faut avoir une confiance en soi pour pouvoir chanter les œuvres en sachant doser sa voix. Comme la mélodie va passer d’un groupe à un autre, les autres groupes qui n’ont pas la mélodie vont accompagner le groupe qui la chante. A ce moment-là, le volume doit être bas pour donner la prépondérance au groupe qui chante la mélodie.
La deuxième étape, qui est importante pour moi, c’est de connaître le contexte et l’histoire de la chanson.C’est une étape que je compte développer davantage au sein de la Chorale.

Par rapport au changement des mentalités, qui est un chantier énorme, « Les Voix du Chœur » ont organisé en 2018 le Festival interculturel des Chorales à Rabat « FICCRa ». On s’inscrit déjà dans une logique de dialogue. On ne peut pas parler de dialogue interculturel sans parler d’abord de dialogue et de tolérance à l’intérieur même de la Chorale.
Cette notion d’ouverture, on la pratique.
Je suis fier de voir que dans la Chorale, nous avons des personnes étrangères qui chantent des chansons exclusivement du patrimoine marocain. Avec nous, figurent des choristes venus des États-Unis, de l’Allemagne, du Japon et de la France. Ils chantent en darija ou en amazigh alors qu’ils ne connaissent rien par rapport à notre langue.
Il n’y a rien qui les force à le faire. Le fait que nous appliquons ces valeurs d’ouverture et de tolérance, c’est ce qui fait qu’ils restent dans la Chorale.


-Vous participez à former plusieurs générations. A quel point cela contribue-t-il à la sauvegarde du patrimoine immatériel musical ?

-J’ai le privilège de pouvoir voir, d’entendre et de sentir le potentiel du patrimoine immatériel marocain avec la jeunesse marocaine. C’est cette rencontre qui donne des choses extraordinaires. Parfois ça marche et parfois ça ne marche pas. Mais quand ça marche, on entrevoit ce que peut être le futur du patrimoine immatériel.
Nous célébrons le potentiel du futur du patrimoine immatériel musical marocain en chantant des chansons du passé. En contribuant au futur, nous consolidons le passé et donc la sauvegarde de notre patrimoine musical.


-Par ailleurs, pensez-vous que le patrimoine musical a besoin d'être mêlé à des compositions modernes et exclusives pour le perpétuer ?

-C’est une question que pas mal de gens se posent, y compris nous-mêmes.
Ce qu’on essaye de faire, c’est d’adjoindre des expériences, occidentales par exemple, au patrimoine marocain. Ce dernier ne sera pas pour autant menacé du jour au lendemain.
Nous essayons d’ajouter notre grain de sel. Seul le futur nous dira si ce grain a contribué à enrichir le patrimoine.
A travers ces enrichissements, nous voulons également reconnecter le public au patrimoine.
Je pense ici aux formations musicales « Nas ElGhiwane » ou « Jil Jilala » et à ce qu’elles ont su faire en redéfinissant le patrimoine marocain. Elles ont permis à des générations à s’y intéresser.
Parfois, il faut des outils, comme la chorale, pour que le public puisse être suffisamment curieux de façon à vouloir en savoir plus sur le patrimoine marocain.
Je tiens à souligner que le patrimoine n’est pas une chose complètement figée. Il est donc vivant. On veut lui donner une force autre et contribuer à l’engouement du public pour en savoir plus sur ce patrimoine et donc sur l’Histoire du Maroc.

- Vos projets en vue ?

- Nous avons soumis notre candidature à la Fédération internationale de la musique chorale (IFCM) pour participer au Symposium Mondial de Musique Chorale, prévu en avril prochain.
Au cours de ce Symposium, qui est une occasion de poursuivre le noble objectif de la construction d’un monde en paix, des chefs de chœur, choristes et autres professionnels de la musique chorale du monde entier seront présents et participeront à des masterclass, conférences et concerts. Pour notre part, nous allons chanter mais aussi animer une conférence au sein de ce symposium international. La thématique évoquée sera la rencontre entre la musique Gnawa et la musique du Jazz.








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